Article co-écrit avec Emmanuelle Bernheim (Professeure, Faculté de droit – section droit civil, Université d’Ottawa)
La ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, s’est montrée ouverte à la création d’une commission d’enquête sur les soins en santé mentale, demandée par une centaine de familles endeuillées à la suite du suicide d’un proche « victime d’un système dysfonctionnel ». C’est l’occasion idéale d’une remise en question structurelle qui se fait attendre depuis trop longtemps.
Au moment de la mise sur pied du système de santé et des services sociaux au tournant des années 1970, le Québec est à l’avant-garde en reconnaissant que l’« amélioration de l’état de santé de la population » passe par l’« amélioration de sa condition sociale ».
Pourtant, en santé mentale, les restrictions à la couverture publique de services psychosociaux, les problématiques d’accès aux services, l’absence de soins individualisés et la défaillance répétée à consulter et à écouter les groupes sociaux concernés ont pour effet de réduire notre conception collective de la question à sa seule dimension biomédicale.
C’est ce que révèlent également l’utilisation de plus en plus répandue des médications psychotropes, le fait que les équipes multidisciplinaires ont toujours été dirigées par des médecins, les litiges interminables autour de la reconnaissance des compétences des autres professionnels et la diminution des ressources nécessaires à une offre de services psychosociaux de qualité.
Les enjeux sociaux et structuraux de la santé mentale, bien que clairement démontrés, n’existent nulle part dans le discours public. Il n’est donc pas surprenant de constater que les vagues successives de désinstitutionnalisation n’ont pas été accompagnées des ressources communautaires nécessaires à l’accueil, au soutien et au suivi en communauté.
Dangerosité
Dans un tel contexte d’indisponibilité des services, le personnel médical est le plus souvent chargé de parer au plus urgent auprès de personnes en crise ou laissées à elles-mêmes. La crise est d’ailleurs devenue le quotidien des établissements chargés d’offrir des soins et des services de santé mentale.
À cela s’ajoute une réalité plutôt difficile à entendre, c’est-à-dire qu’il est difficile de prédire de manière fiable le suicide avec les outils cliniques actuellement développés. Lorsque l’estimation de la dangerosité d’un passage à l’acte suicidaire est positive, une panoplie de mesures coercitives sont mises en oeuvre si la personne concernée refuse de se plier aux interventions préconisées : internement forcé, mise en isolement et parfois l’imposition d’un traitement.
Alors que les services sont difficilement accessibles et peu variés, les patients en santé mentale, plus que tout autre patient, peuvent ainsi se voir forcés de recevoir des soins dont ils ne veulent pas, dans un contexte qu’ils n’ont pas choisi et s’en trouver plus fragilisés.
La réponse offerte à la souffrance et à la détresse est souvent déshumanisante et humiliante. Alors que la crise est devenue une situation courante en santé mentale, il est temps d’agir en prévention plutôt qu’en réaction de la souffrance humaine.
Structures
Cette gestion de crise constante, qui sélectionne les cas les plus graves et laisse les autres à eux-mêmes, mais qui peut également agir dans la coercition, constitue une violation évidente des droits des citoyens : droit de recevoir des services adéquats, personnalisés et sécuritaires, d’une part, et droit au consentement et au refus de soins, d’autre part.
Ces droits, qui peuvent sembler opposés, sont dans les faits complémentaires et ils doivent être au coeur des travaux d’une commission d’enquête sur les soins en santé mentale. Le droit de recevoir des services dépend des ressources disponibles dans chacun des établissements. Or, depuis 15 ans, plusieurs décisions gouvernementales ont eu pour effet concret la diminution des services et la violation systématique du droit de recevoir des services en santé mentale.
Quant au droit de consentir et de refuser des soins, il est la pierre angulaire de la relation thérapeutique et du droit médical. Il veut que les patients puissent prendre des décisions de soins conformes à leur volonté, par exemple choisir d’opter pour une thérapie psychologique plutôt que pour de la médication.
Éviter des drames en santé mentale implique la mise en oeuvre de ces deux droits : le droit d’accès à des services variés et correspondant aux besoins de la personne, mais aussi le droit de choisir parmi ces soins selon sa propre volonté. Ainsi, une commission d’enquête sur les soins en santé mentale devra entendre et prendre au sérieux les demandes des personnes concernées, mais également éviter de formuler une réponse strictement légale ou biomédicale à la souffrance humaine et aux problématiques sociales qui y contribuent.
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